(1905-1994)
Le titre de ce chapitre aurait pu être : «La fin de la guerre». La libération arriva effectivement et me laissa des souvenirs précis.
Mais, si une guerre commence le jour de la mobilisation, celle qu’a inspirée Hitler n’a pas de fin. Caïn a tué son frère Abel … la croix gammée mobilise encore.
Notre cher curé, écoutant les anglais à la radio, accouru pour nous prévenir du débarquement en Normandie, jour historique. Il y eu un temps d’espoir grandissant, des rumeurs (août 44, Paris délivré) puis les premières lettres arrivant de la région parisienne et ensuite du Nord ; ceci voulait dire que les trains circulaient à nouveau. Maman Jeanne écrivait prudemment : « Ne vous faîtes pas d’illusions ».
Je préparais un gros « mate-faim » fait de fruits secs ou frais, bien collés en une pâte avec de la farine et des œufs. Habillée de mon costume de velours côtelé, de ma cape de loden, de bas tricotés épais, chaussée de lourds souliers et de guêtres montant jusqu’aux genoux, je pris une «valise caisse» sur laquelle on peut s’assoir et un minuscule réchaud à alcool solidifié. Puis je partis comme la foule de mes semblables pour un voyage de 4 ou 5 jours. Je pris un train qui arriva le soir. Le suivant ne repartant que le lendemain matin nous devions trouver où dormir en nous débrouillant ou en étant logé.
A Orléans nous traversâmes la Loire à pied, sur des planches reliées aux rails de chemin de fer. Un câble nous servit de main courante. A Viroflay me voilà marchant dans un paysage familier retrouvé intact. Je monte notre rue mais un choc m’attend ! La très grande maison précédant celle de mes parents, un orphelinat, n’est plus qu’un tas de pierre. Celle des miens est intacte.
Puis vint un temps, fort long et confus où le nécessaire et le matériel furent bien long à réparer que ce soit dans les familles ou dans les Nations.
J’amenais un soir Lisbeth ainsi que notre chat aux grands-parents. En arrivant, trop tard, près du pont Mirabeau et des quais pour prendre le train pour Viroflay je dus demander de l’aide au poste de police qui me mis pour la nuit dans un hôtel. Après avoir été occupé par les allemands, il était à présent plein de soldats.
Lucien préparait l’exposition que nous fîmes ensuite à Aurillac. Puis nous reçûmes la commande de grands panneaux décoratifs illustrant le retour des prisonniers, l’accueil aux gares. Nous avons peint à la colle, par terre, dans l’atelier vide.
Ceux qui avaient acheté des biens juifs étaient poursuivis comme receleurs. Un brave homme a su la plainte au nom de Lestienne, a trouvé le téléphone de mon cousin médecin puis vint demander de restituer notre gros bahut de chêne, "ce résistant". Ainsi, un petit reste des choses déménagées par notre concierge, aidée des allemands, fut récupéré.
En 1946, les séquelles de la guerre s’éloignant, nous cherchâmes une petite sœur pour Lisbeth. En 1936, elle était arrivée à 18 mois ; rêveuse et sensible, elle admirait son papa. C’est plus tard qu’elle souffrit d’avoir été une enfant adoptée.
Claudine, née en 1942 puis abandonnée, était dans les monts du Morvan, chez une nourrice fermière. A 5 ans, très dégourdie, elle chantait : « C’est la fille de la fermière qui dansait avec les gars, elle a perdu sa jarretière, … ». Elle racontait très bien : « Qu’elle était jolie la petite chèvre de Monsieur Seguin … ». Ce fût un changement de plus dans la maison, nous agrandissions la famille : Claudine et sa grande sœur de 11 ans, Lisbeth.
Pendant longtemps il nous fut impossible de chauffer correctement le vaste espace de notre atelier. Une très grande toile servait à abaisser le plafond en le cloisonnant. Une petite colonne Godin qui brûlait tout fût très appréciée. Un hiver, nous eûmes même un dégât des eaux dans la salle de bain du 3e et l’atelier au 2e étage : toutes les conduites d’eau de l’immeuble avaient gelé ! Nous avions utilisé une très grande planche à dessin d’architecte posée sur des caisses en guise d’étagère, près de la verrière, à température de réfrigérateur. Un jour de Noël, surchargée, elle s’écroula ! Avions-nous trop de provisions ?
L’humour et l’humilité permettent de garder de la joie et le courage de continuer de vivre.
Je laisse à mes enfants le soin d’écrire la suite …
Madeleine Weil-Lestienne