(1905-1994)
Cinquième partie : de 1940 à la fin de la guerre
Durant ce temps, dit «drôle de guerre», entre fin 1939 et l’offensive allemande puis la débâcle nous restâmes, petite Lisbeth de 5 ans et moi à Erquy avec mes parents. Les mères, responsables de trois familles nombreuses (6 ou 7 enfants plus cousins et cousines) s’unirent en amitié, les plus jeunes allant à l’école d’Erquy. Nous organisâmes des classes pour les plus grands. Maman Jeanne enseignait le français, l’histoire, harmonisant culture et droiture, si bien que parvenus à l’âge d’homme, leur vie entière, ses élèves ont exprimé en amitié leur reconnaissance fidèle. Qui peut savoir ce qu’une graine donnera comme fruit ? J’enseignais musique, dessin, sciences naturelles et géographie. (Plus tard, au moins deux de mes élèves choisirent des métiers d’art). Nous avions une jeune matheuse et une anglaise.
Un papa, père de 7 enfants, n’était pas parti au front. La maman m’exprimait sa pitié. Mais mystère ou ironie du destin, lui qui pourtant était sportif, mourut rapidement d’une polio.
Papa Lucien écrivait des lettres illustrées d’aquarelles et laissa des œuvres en utilisant les procédés à sa disposition (il était à la cartographie d’un quartier général).Puis il y eu des permissionnaires dont Lucien et de beaux polonais, si séduisants qu’ils affolaient le cœur des jeunes bretonnes. Hélas ! Ils se sont, dit-on, fait tuer (plutôt que de reculer) héroïquement.
On recevait les terribles nouvelles du désastre. J’étais en l’église d’Erquy, sur un classique «prie-Dieu» la main appuyée sur ma joue amaigrie, sentant l’os. Miracle de l’espérance, l’Esprit m’a suggéré «Lisbeth est trop petite, il reviendra, vous aurez le temps…».
Nos parents du Nord sont arrivés, réfugiés une deuxième fois et beaucoup d’autres à recevoir et à aider. Nous avons coupé et piqué des chemises de femmes, aidé à loger. Maman Jeanne, expérimentée, se rendit à la pharmacie : « Ils vont réquisitionner, il faut cacher des provisions ». Naïvement, les bretons vendaient des cerises aux premiers allemands arrivés à moto, bien pourvus en billets de banque français. Des affiches promettaient de la collaboration, une libération, etc…
Par la suite la résistance s’organisa, et il y eu une bataille sanglante sur la route de Paris, après le débarquement ; les allemands battant en retraite, étant poursuivis. Notre médecin me raconta que, revenant d’une visite en haut de la falaise, il vit un rayon vert, une réfraction sur l’horizon de la mer. Hélant une sentinelle il lui dit, c’est le débarquement ! Quelle joie que de réussir à faire trembler ce mur de l’Atlantique. L’Armistice signé, tout le Nord occupé, nous rentrâmes à Viroflay.
Ayant l’expérience de 14-18 nous nous mîmes au travail, envoyant des colis aux prisonniers, organisant des vestiaires d’échanges, etc… Les responsables des services publics avaient tous fuit lâchement. Un ami architecte suisse se mit à réorganiser et je l’aidais dans cette entreprise. Ceux qu’on utilise et emploie sont protégés de l’envahisseur, de ce fait il conversait en allemand sans se cacher, parfois sur le trottoir, avec des officiers. Malheureusement, avec des « résistants » de dernière minute, les lâches se sont vengés. Il a fini découragé et retourna en Suisse.
A suivre ...