(1905-1994)
«On ne voit bien qu’avec le cœur» comme disait St Exupéry. A toi que j’aime, je désire dire l’admiration, l’émerveillement, le meilleur à partager.
En 1919, Madeleine, adolescente de 14 ans, retrouve sa jeune maman de 34 ans, comme une grande sœur. Douai, sa ville natale à demi détruite, les maisons pillées, volontairement souillées, toutes les richesses volées… mais je ne me souviens que de l’ardeur joyeuse, vivante pour réparer. C’est la plaine de Flandre où la guerre est si souvent passée.
Quand j’apprenais à parler, mes parents étaient si jeunes que Jeanne fut «Maman Jeanne» et le papa «Petit-père». L’admirable père de 1914-1918 et la mère n’ont jamais été nommés « grands-parents » ni papi ou mamie. Belle a été leur vieillesse en leur village d’Ecaillon. Je vais te la conter et te la dessiner, il y a aussi des peintures. Ce fut à l’époque dite « entre-deux guerres ».
Pour aller à Ecaillon chez mes grands-parents, je prenais le tramway sur la route entre Douai et Aniche. Ecoute les noms : Sin-le-Noble, Guesmain, le Warde, Masny. La terre fertile donnait du froment, des betteraves à sucre, parfois de la luzerne pour l’assolement ; mais surtout, c’était le pays du charbon, des silhouettes de ferraille, les ascenseurs, les terrils. On voyait, alignés en briques sombres, les corons et leurs petits jardins. A 2 km, à l’arrêt d’Ecaillon, on apercevait le clocher, la route et les raccourcis nommés "pied-chintes", sentes marquées chaque année par l’entêtement des piétons. J’étais pleinement heureuse entre les épis si hauts, solides, sculptés par le soleil d’été contre le ton du ciel lourd, vers l’horizon. Quelle victoire lorsque j’ai trouvé le ton juste du contraste, en peinture !
La maison était à l’angle de la grand-rue, toute l’activité étant dans la cour, entre véranda et grange. On entrait par une grille dans la petite rue. Le véritable foyer c’était les fauteuils près de la cuisinière, sur le fond de peinture vert véronèse ; en peine lumière, une file de géraniums, un bahut de bois blond, quelques beaux objets de vieille faïence, une pompe au dessus du puits, une autre sur un réservoir d’eau de pluie. Sur les murs blancs de la cour, quelques vignes, un cognassier aimé pour ses formes, ses fleurs et ses fruits. Un espace lapins-volailles (pas de canards ni d’oies, trop salissants).
La grange, très vaste contenant de beaux outils, des provisions, divers ustensiles rustiques … là, même la poussière est harmonie. Voilà le jardin, adroitement cultivé, il donne fruits et légumes en toutes saisons. Quelques ruches pour le miel, la cire et l’hydromel. A la cave, les endives dites «barbe de capucins», du bon vin. Bien peu à acheter : le café, le beurre chez les cousins, du sucre roux, la "cassonade" dans des grands sacs de jute. "Père", étant jeune homme, avait planté quatre rangées de bons pommiers dans un des champs de la ferme ; on l’appelait « la pâture », lieu de détente, de jeux. La clôture était faite de haies soignées de bois épineux d’aubépine, peu de grillage, le mur du voisin et au fond un petit ruisseau avec tout ce qui se plaît à y vivre.
Il y eu une malicieuse chèvre blanche : on pu voir Monsieur le Maire courant derrière elle entre la grand-place et l’église ! Grande abondance de bonnes pommes, à table : du cidre bouché, l’hiver des pommes au four et de la pâte de pomme en forme de pain. Il me fut donné de contempler la sagesse : je les ai vu ayant plus de 60 ans de mariage, s’aimer comme à 20 ans. Voilà qu’il rentre ; Mère : «où étais-tu ? Mais, fais-donc attention ! etc.» ; Père, jeune, gai et vigoureux : « Je ne serai pas malade : ». Il fit pourtant une embolie devant la table du petit-déjeuner, ce savoureux petit-déjeuner, préparé tôt… Faire le café de très bonne heure, le porter au lit aux autres, chez nous, est signe de tendresse.
A suivre ...